07 octobre 2022

Artaud

Le problème avec Artaud, c'est que très peu de gens le connaissent ou - pire - que tout le monde croit le connaître.

Les uns - disons les cinéphiles - se souviennent de lui face à Renée Falconetti dans La Passion de Jeanne d'Arc de Carl Dreyer (ou dans la citation qu'en fit Jean-Luc Godard dans Vivre sa vie). D'autres préfèrent évoquer l'"aliéné", l'homme détruit par huit années d'enfermement psychiatrique (Quatre-Mares, Sainte-Anne, Ville-Évrard, Chazal-Benoît, Rodez). D'autres enfin grappillent ce qui leur convient dans ses écrits sur le théâtre.



Anna Karina regarde La Passion de Jeanne d'Arc dans Vivre sa vie.


Pour ma part, c'est par L'Ombilic des limbes (édition Poésie/Gallimard de 1975) que je fis sa connaissance dans les années 1980. Petit ouvrage étrange que je m'étais procuré, je ne sais plus trop comment ni trop pourquoi, peut-être tout simplement pour approfondir ma connaissance du surréalisme que côtoya brièvement Artaud. J'y lus et relus sa Lettre à Monsieur le législateur de la loi sur les stupéfiants

Travaillant à l'époque en hôpital, entre autres sur la toxicomanie et ses intrications avec le sida et les hépatites, je m'étais évidemment passionné pour ce texte d'une puissante modernité, sans équivalent à ma connaissance. Je me revois certains soirs à la bibliothèque publique d'information du centre Georges-Pompidou (mon havre d'autodidactie), lisant attentivement son énorme correspondance, prenant des notes. Je m'aperçus à cette occasion qu'Artaud était littéralement hanté par la menace de la paralysie générale (syphilis tertiaire) qui avait terrassé Baudelaire et Maupassant. J'y consacrai une communication tardive en 2001, à l'occasion du Congrès international d'histoire de la pharmacie de Lucerne.

Depuis, j'ai beaucoup lu sur ce qui s'écrit, ici et là, sur cette fameuse Lettre à Monsieur le législateur et je suis toujours quelque peu agacé de la voir revendiquée par les "abolitionnistes". Artaud n'était pas abolitionniste.

J'ai donc profité d'une commande et d'une "carte blanche" de Myriam Tsikounas, pour consacrer quelques mois de ma vie à cette histoire passionnante. Ceux qui espéraient me voir écrire autre chose (ou ne plus écrire du tout!) en sont pour leurs frais. S'il y a bien une chose qui me révolte en ce bas-monde, c'est la propension qu'ont nos contemporains à nous assigner à résidence... et à s'assigner eux-mêmes. Un "spécialiste" en "sciences humaines et sociales" n'est rien d'autre qu'un emmuré vivant. J'en ai connu beaucoup, en particulier à l'université. Et je ne les entends que trop sur France Culture, le "temps d'un débat".


L'illustration de couverture est signée Jean de Bosschère (1935). Elle s'inspire à l'évidence d'Artaud en 1928.

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