jeudi 9 août 2018

Sons d'antan et bons génies

Puisque l'été est propice aux souvenirs et que les nouvelles ne sont pas fraiches, continuons!
Cela se passait il y a près de trente-six ans, le 12 novembre 1982, dans la petite salle du Centre Pompidou dont j'étais depuis quelques années un habitué (je peux même affirmer que je suis un enfant de Beaubourg: merci Monsieur Pompidou!).
Je devais être assis au premier rang. En face de moi, sur une petite estrade, Jean-Claude Carrière (1931), Denise Tual (1906-2000), Ado Kyrou (1923-1985), Antonio Saura (1930-1998), Maurice Drouzy (1923-1998)...
Le débat s'intitulait "À Luis Buñuel" et je viens de retrouver miraculeusement son enregistrement audio dans les rets du web: on peut le réécouter ICI.
Je dois avouer que j'ai toujours beaucoup aimé Buñuel.
Avant ou après le débat (je ne sais plus), je croisais Pierre Guibbert (1942-2004), qui était à l'époque un des piliers de l'Institut Jean Vigo de Perpignan. J'avais fait sa connaissance quelques mois plus tôt, à l'occasion d'une interview amateur (que je viens également de retrouver, preuve que je fais du rangement!) de Marcel Oms (1931-1993), qui présidait à l'époque cet institut dynamique. J'avais également rencontré Hélène Oms et visité, pour la première fois de ma vie, un centre d'archives cinématographiques (photos, affiches, scénarios, bobines de film, etc.).

Quelques semaines passèrent. Le 17 janvier 1983, Pierre Roura, qui était secrétaire de rédaction des Cahiers de la Cinémathèque (la revue mythique de l'Institut Jean Vigo), m'écrivit une lettre que j'ai précieusement conservée: "Est-ce que cela vous intéresserait d'en faire [de ce débat] un compte rendu pour le prochain n° des Cahiers de la Cinémathèque qui sera consacré au cinéma de l'Espagne franquiste?"
Quel honneur, mais quelle inquiétude aussi! Si je griffonnais de manière très régulière depuis mon adolescence, je n'envisageais pas vraiment d'être publié (ou alors dans mes rêves les plus improbables): je ne disposais d'aucune entrée dans ces milieux, mes seules références étaient Martin Eden de Jack London et quelques biographies d'écrivains appréciés... On n'est pas fils d'ouvrier pour rien, comme aimait à me le rappeler fort gentiment mon regretté père.
Bref, je me lançais sans le moindre conseil: j'écrivais, raturais, me dépatouillais, puis tapais un texte de quelques milliers de signes sur une petite machine à écrire Olympia, que j'ai par la suite perdue de vue. Elle était verte, crachoteuse, achetée d'occasion, un peu dans le style de l'engin ci-dessous... (Je parle évidemment d'un temps où les ordinateurs et logiciels de PAO m'étaient inconnus.)

 

Me connaissant cependant, cette affaire n'avait pas dû traîner. Il faut battre le "faire" quand il est chaud...

Plusieurs mois passèrent sans la moindre réponse. "C'est la vie", dus-je me dire, "mon texte était sans doute sans le moindre intérêt". Entre-temps, il m'était arrivé pas mal de petites aventures (entre autres radiophoniques) et bien entendu, ce texte m'était complètement sorti de la tête. Peut-être même avais-je fait le deuil de ma brève vocation de scribouillard...
Un jour cependant (ce devait être en mars 1985, donc deux ans plus tard!), je me rendis avec deux amies au Salon du Livre de Paris, qui se tenait à l'époque au Grand Palais. Nous nous promenions à travers les stands quand soudain, par le plus grand des hasards, je tombai sur un regroupement d'éditeurs (région Languedoc-Roussillon, me semble-t-il) et y découvris le dernier numéro des Cahiers de la Cinémathèque. Je n'y étais pas abonné (je n'étais abonné à rien) et feuilletais donc l'exemplaire par curiosité. Soudain, mes yeux tombèrent sur mon texte signé de mon nom ("Paris rend hommage à Buñuel", Les Cahiers de la Cinémathèque, n° 38-39, hiver 1984, p. 211-213). Mes amies, auxquelles je montrais la "chose", ne comprirent pas très bien les raisons de mon air enjoué.


En fait, faute d'une bonne identification postale, les courriers ne m'arrivaient plus. Et voilà comment mon "élan" vers le peu que j'allais devenir, faillit être brisé... Fragilité de la destinée, bizarrerie des "circonstances de la vie" comme l'écrivait Ramuz. Et la morale de cette histoire: ne jamais se satisfaire de nos velléités, qui sont innombrables et stériles.
Je repense souvent à ce petit bonheur de rien du tout, mais tellement improbable que je lui trouve encore du charme un tiers de siècle plus tard. Et je repense à Marcel et Hélène Oms, si tragiquement disparus en juillet 1993, et à Pierre Guibbert, mort également de manière prématurée: mes bons génies qui ne le surent jamais.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire