13 novembre 2022

Les flamants roses

Début 1997, Véronique Nahoum-Grappe et Myriam Tsikounas eurent l'idée de consacrer le quatrième numéro de Sociétés & Représentations au thème de "La Nuit". Ce sujet inspira de nombreux auteurs. Je relève par exemple les signatures de Patrick Baudry, Arlette Farge, Françoise Héritier, Dominique Kalifa, Patrick Mignon, Max Milner, etc.

Moi-même, qui n'étais à l'époque qu'attaché des hôpitaux et chargé de cours à Paris 3, je m'étais prêté au jeu. J'y avais proposé un texte que je qualifierais aujourd'hui de "programmatique". Programmatique pour moi, cela s'entend.

Il faut dire que "la nuit" m'avait -si j'ose dire- marqué dans la chair (la formule est certes excessive), à la différence sans doute de nombre des universitaires convoqués. En faisant récemment un "bilan de carrière", je me suis aperçu avec stupéfaction que j'avais effectué plus de six cents gardes de nuit durant le premier tiers de mon activité rémunérée. C'était un choix de vie, comme l'étaient également les dizaines et dizaines de nuits -souvent blanches- passées devant une table de mixage, à animer des émissions aussi éphémères que futiles. Il y a toujours quelque chose d'étrange à brûler son énergie lorsqu'on est jeune, alors qu'en fin de compte rien ne vous y oblige. Car je l'avoue, longtemps je ne me suis pas couché de bonne heure. Maintenant, j'essaie de me rattraper.

"Que reste-t-il de toutes ces émissions du début des années 80?", se demandait récemment Xavier Mauduit dans Le Cours de l'Histoire. Pour ma part, j'ai toujours tenté de documenter la fuite du temps. Je dispose donc de dizaines d'heures d'enregistrement (mais pratiquement pas de photos, malheureusement).

Je viens par exemple de retranscrire ce que se disaient deux auditrices, Elisabeth et Myriam, probablement autour du 17 janvier 1985. Ce mois-là, il avait fait froid comme jamais en France depuis trente ans: -14° en plein jour dans l'Hérault, - 10° à Marseille, des centaines de flamants roses englués dans la glace. Mes pieds, mes mains et le bout de mon nez s'en souviennent encore. Ce fut d'ailleurs dans ce contexte que germa l'idée des "Restos du Cœur". 

Ces émissions de libre antenne, d'apparence anodine, semblent vibrer encore, comme si le froid de l'extérieur les avait en quelque sorte modulées. On se croirait dans une utopie de Rabelais. 

Je vais m'y replonger.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire