jeudi 23 septembre 2021

Vies écourtées

C'était quelques mois avant ma troisième vie. Le 9 mai 1995, il y a donc plus de 26 ans, je jetais ces quelques lignes sur une feuille de papier que je viens de retrouver par hasard:

"Deux de nos patients viennent de mourir, presque coup sur coup, au troisième étage de l'hôpital. Ils s'appelaient Hervé B. et Didier P.. Ils étaient parmi nos plus anciens patients, homosexuels tous les deux, victimes expiatoires d'une maladie sans pitié: le sida. Hervé B. était un peu plus jeune que moi. Cet ancien travesti, vendeur dans un grand magasin, hantait les couloirs de l'hôpital depuis plus d'un an. Sympathique, affable, balançant entre humour et résignation, il a été vaincu par un cytomégalovirus invasif qui l'avait rendu tétraplégique il y a quelques semaines. Didier P., plus âgé d'une vingtaine d'années, a succombé à un sarcome de Kaposi qui lui dévorait le visage depuis plusieurs mois. Il y a deux semaines environ, sa sœur, que je ne connaissais pas, une femme blonde très digne mais au bord des larmes, était venu prendre ses médicaments. Nous avions échangé sur l'hypothétique vaccin, sur le remède miracle qu'on évoque toujours en pareilles circonstances. Le 8 mai, les deux hommes nous ont quittés prématurément, la conscience embuée par une cocktail de morphiniques."

Puis j'égrenais la litanie des amis et connaissances disparus: Olivier M. (mort à 29 ans), Bertrand G. (mort à 42 ans), Bruno C. (mort à 37 ans), Michel M. (mort à 35 ans), Pierre J., qui aurait dû encadrer ma thèse (mort à 46 ans), Alain M. (mort à 50 ans). Et tant d'autres.

Et dire qu'il y en a qui se plaignent... 

Je préfère déchirer ce vieux papier, mais je ne vous oublie pas. Je sais qui se cache derrière vos initiales.

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