jeudi 19 août 2021

Objection, votre honneur !

Je suis en train de lire le journal de captivité d'Édouard Daladier. L'homme d'État y évoque, entre autres, les différences de culture entre les Britanniques et les Français à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et en particulier la question de la conscription.

Quel terme désuet que ce mot de conscription! Depuis la fin des années 1990, on ne l'entend plus guère, et j'imagine que beaucoup de jeunes gens n'en ont qu'une très vague notion.

Personnellement, elle m'a beaucoup tracassé, la conscription... Tout simplement parce que je ne m'y voyais pas, mais alors pas du tout! Comme je ne me voyais pas passer mon permis de conduire, porter une cravate, demander une promotion ou même bronzer des heures durant sur une plage.

N'ayant pas été réformé (alors qu'un tiers de mes semblables l'étaient bon an mal an, mais le piston faisait peut-être la différence), il ne me restait plus qu'une solution en deux étapes: 1) me porter "non volontaire pour le peloton de préparation à une école d'officiers de réserve" auquel mon QI, évalué en deux coups de cuiller à pot, me destinait; 2) demander le statut d'objecteur de conscience.

Je me revois montant les marches d'un petit immeuble vétuste du 12e arrondissement où se trouvait le MOC (Mouvement des objecteurs de conscience), puis en ressortir quelques minutes plus tard, tout content, avec Le Guide pratique de l'objecteur.



J'ai précieusement gardé ce petit livre d'une centaine de pages, même s'il ne me sert plus à grand-chose. Tout y était indiqué. Je cite: "Tu dois envoyer ta lettre à l'adresse suivante: Monsieur le ministre de la Défense, Direction centrale du Service National, 8 rue Hippolyte-Bottier, 60209 Compiègne cedex." Un modèle-type de courrier était même proposé: "Monsieur le Ministre de la Défense, pour des motifs de conscience, je me déclare opposé à l'usage personnel des armes. Je demande donc à être admis au bénéfice des dispositions de la loi relative à l'objection de conscience. Recevez mes salutations." C'est cette formulation que je dus adopter, car je peux être un peu flemmard.

À la suite de quoi, le ministère de la Défense dut transmettre (j'allais dire "vomir") mon dossier militaire au ministère des Affaires sociales (bureau P7, je me souviens). Ne restait plus qu'à dénicher l'association loi 1901 susceptible de m'accueillir dans le cadre de mon service civil. Comme dans un conte de fées, ce fut la Cinémathèque française et cela dura près de seize mois.

Ainsi donc, dans les années 80, j'avais été classé "P7" (ne pas confondre avec les "P4", les "zinzins"). Puis, à la fin des années 90, je fus embauché par "P7", c'est-à-dire l'Université Paris 7 Diderot (à ne pas confondre avec la désormais "Université de Paris")...

Comme l'a écrit Édouard Estaunié dans L'Empreinte (1896): "Remarquez que la plupart des actes importants d'une existence d'homme sont provoqués par un fait insignifiant. Les contingences sont les facteurs habituels de nos volontés les plus graves." Mais, se voulant rassurant, Estaunié ajoutait: "Cela ne veut pas dire que les contingences en soient, à proprement parler, l'origine." Néanmoins, parfois j'en doute.

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