vendredi 23 novembre 2018

Images retrouvées de Raïssa Bloch

Comme le rappelle Agnès Graceffa dans son très beau Une femme face à l'Histoire (Belin, 2017), Raïssa Noévna Bloch naquit le 30 septembre 1898 à Saint-Pétersbourg, dans une famille juive, aisée et libérale. Licenciée en histoire de l'université de Saint-Pétersbourg, maîtrisant plusieurs langues (russe, français, anglais, allemand, italien, latin), cette chercheuse née préparait une thèse sous la direction de la médiéviste Olga Dobiache-Rojdestvenskaïa lorsqu'elle fut arrêtée, le 22 septembre 1921, pour une raison inexpliquée par la police bolchévique. Deux mois passés dans les geôles du régime la convainquirent de se réfugier en Allemagne en octobre 1922.

Assistante de recherche au Monumenta Germaniæ Historica (institut chargé de l'édition de textes médiévaux), elle participa aux activités de la librairie et maison d'édition Petropolis, fondée par son frère dans la capitale allemande. Auteure de poèmes et de livres pour enfants, elle soutint sa thèse en février 1927. Ce doctorat ne lui permit malheureusement pas de sortir de la précarité, qui était le lot des émigrés russes et plus encore des médiévistes.

Le visage de Raïssa Bloch.

L'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir à la fin janvier 1933 l'obligea à fuir une nouvelle fois en mai, cette fois-ci vers Paris. Parrainée par Ferdinand Lot, elle suivit les séminaires de l'École pratique des hautes études et participa à la préparation du nouveau Dictionnaire de latin médiéval.
Vers la fin 1933, Lot la mit en contact avec Eugène-Humbert Guitard, qui recherchait une assistante polyglotte pour l'assister dans la lourde tâche que représentait alors la rédaction conjointe de la Revue d'histoire de la pharmacie et de son supplément artistique et littéraire Dionysos. Dès la fin janvier 1934, sa collaboration, rémunérée, devint régulière, lui assurant des revenus certes modestes mais renouvelés d'année en année jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
Elle épousa son compatriote Michel Gorlin, poète, grand érudit et spécialiste de la slavistique, le 31 octobre 1935. Une fille naquit de leur union le 8 septembre 1936. Elle se prénommait Dora.

La guerre et la débâcle furent fatidiques à ce beau couple de savants. Tous deux se retrouvèrent pratiquement du jour au lendemain sans ressources. Le 14 mai 1941, Michel Gorlin fut arrêté. Envoyé à Auschwitz quatorze mois plus tard, il y mourut.
Réfugiée sous un nom d'emprunt au château de Masgelier (Creuse), un des "homes" d'enfants juifs géré par l'Œuvre de Secours aux Enfants (OSE, dont son frère était un des principaux responsables), Raïssa fut arrêtée par des gardes-frontières suisses le 18 octobre 1943, alors qu'elle venait de convoyer avec succès cinq enfants juifs. Refoulée en France, livrée aux Allemands, elle fut transférée à Drancy puis à Auschwitz. Elle y mourut le 25 novembre 1943. Sa fille Dora était décédée pour sa part du croup quelques mois plus tôt.

Il reste trop peu de choses du passage sur Terre de cette brillante érudite. Quelques écrits, de très rares photos et le monument biographique que lui a dédié Agnès Graceffa.
Aussi, quelle ne fut pas mon émotion lorsque que je l'entrevis dans un film de la Société d'histoire de la pharmacie, que j'ai récemment retrouvé. L'image est de qualité médiocre, l'identification encore hypothétique, mais comme je me suis efforcé de le démontrer dans un article à paraître, elle est plus que vraisemblable. Il s'agirait donc du seul témoignage cinématographique sur cette femme exemplaire.

Deux photogrammes représentant Raïssa Bloch.
La première identification reste hypothétique (mais fort vraisemblable), 
la seconde est certaine.


Référence:
Thierry Lefebvre, "La Société d'histoire de la pharmacie. Un film retrouvé", Revue d'histoire de la pharmacie, n° 400, décembre 2018, p. 519-542.

vendredi 16 novembre 2018

Ils étaient là, ils n'y sont plus

Quand j'étais jeune et que j'écoutais la chanson du groupe québécois Beau Dommage, Un incident à Bois-des-Filion (1975), je m'étonnais naïvement que l'on puisse encore se noyer aussi bêtement que dans le fait-divers qui servait de prétexte à ce petit chef-d'œuvre.


Pourtant, le temps a passé et au moins deux de mes anciens camarades ont disparu de la sorte.

Le premier était Alain Dupuis (alias Nil), avec lequel je fis les quatre cents coups dans une radio parisienne alors bien turbulente. J'ai raconté, il y a quelque temps, une de nos initiatives communes: l'occupation du bureau du président de TéléDiffusion de France en 1986.
Alain devait avoir une quinzaine d'années de plus que moi. Il est mort noyé dans les années 1990. Je ne sais pas ce qu'est devenue sa compagne, que nous surnommions Mitsou. Et je n'arrive plus à retrouver une photographie où on nous voyait tous les deux avec quelques autres.

Le second a joué un très grand rôle dans ma vie. Il s'agissait de Philippe Arnaud, un homme en tout point remarquable, d'une intelligence comme j'en ai rarement rencontrée.

Philippe Arnaud (1951-1996).

À la fin des années 1980, Philippe m'avait demandé de participer aux ouvrages qu'il coordonnait alors pour le compte de la Cinémathèque française.


Nous avions alors d'innombrables conversations dans son petit "bureau" qui jouxtait la bibliothèque commune de la Cinémathèque et de la Fémis, tout en haut du palais de Chaillot (quelle vue nous avions!). Érudition et humour faisaient toujours très bon ménage avec lui.

Par la suite, il joua un grand rôle, avec Dominique Païni, Laurent Mannoni et Adrien Maeght, dans la mise en chantier de mon premier ouvrage (de commande) : Le Guide du musée du cinéma. J'ai retrouvé récemment quelques lettres de lui, avec de judicieux conseils et commentaires.


Philippe est mort noyé, lui aussi. On n'a jamais retrouvé son corps.
En 1996, il y a donc maintenant près d'un quart de siècle, avec Laurent Mannoni, nous lui avions rendu un trop court hommage dans la revue 1895.

Aujourd'hui, il nous reste ses textes et ses ouvrages qu'il m'avait fait l'honneur de me dédicacer. Et de beaux souvenirs.


dimanche 11 novembre 2018

Voces frigore concretae

Peut-on faire de l'histoire de la radio sans réécouter ce qu'il s'y disait? Assurément non, même si certains ne s'en privent pas. D'où le caractère inestimable de certaines (re)découvertes, alors même que les paroles jadis prononcées semblaient s'être définitivement perdues.


Ici, une bobine métallique BASF de marque "LH Professional".
Durée totale de la bande: 69 minutes.



Qui? Quoi? Où? Quand? Comment? Combien? Pourquoi ?
On en reparle dans quelques mois...